Le scandale Honey : une menace pour les affiliés et les créateurs de contenu
30 déc. 2024
Cet article est basé sur l'enquête qui vient d'être publiée par MegaLag. Cette enquête a été menée au sujet de Honey (racheté par PayPal en janvier 2020 pour un montant d’environ 4 milliards de dollars), l'une des extensions les plus populaires au monde pour les codes promo.
Les conclusions de cette investigation pourraient cependant concerner de nombreux autres acteurs de l'univers des codes promo et du cashback.
Depuis plusieurs années, Honey est devenu très populaire, il s'agit d'une extension de navigateur pour trouver des codes promos. Soutenue par des milliers de vidéos sponsorisées et des influenceurs de renom, Honey s’est imposée comme un acteur incontournable du code promo sur le web.
Mais derrière cette image positive se cache un modèle commercial controversé qui menace l’économie des créateurs de contenu et des affiliés.
Le remplacement furtif des cookies d’affiliation
Au cœur du problème se trouve une pratique que de nombreux éditeurs de sites ignorent : le remplacement furtif des cookies d’affiliation. Lorsque vous cliquez sur un lien affilié, par exemple celui d’un créateur qui recommande un produit, un cookie est enregistré dans votre navigateur pour garantir que ce créateur touche une commission si vous finalisez l’achat. Cependant, lorsque Honey s’active sur la page de paiement, l’extension remplace souvent ce cookie par le sien, réclamant ainsi la commission pour elle-même. Pire, la chaîne MegaLag a découvert que ce remplacement de cookie intervient même quand Honey n'a aucun code promo à proposer à l'utilisateur.
Cela signifie que les affiliés, souvent des blogueurs ou des petites entreprises dépendant de ces revenus pour vivre, perdent leur rémunération. Honey, de son côté, prétend avoir référé le client au site marchand, alors que son intervention se limite à afficher une fenêtre contextuelle.
Honey Gold : un système de cashback trompeur
Pour justifier ce modèle, Honey propose un programme appelé "Honey Gold" (rebaptisé "PayPal Rewards"), promettant aux utilisateurs des points de récompense convertibles en cash. Cependant, une enquête révèle que la majorité de ces récompenses représente une fraction infime des commissions générées. Par exemple, sur une commission de 35 dollars due à un affilié, l’utilisateur ne reçoit que 89 cents via Honey Gold. Le reste est capté par Honey, qui continue de s’enrichir.
La promesse mensongère des meilleurs codes promo
Honey affirme être en mesure de trouver "tous les codes de réduction existants" pour offrir aux utilisateurs le meilleur prix. Or, il s’avère que Honey ne partage que les codes approuvés par ses partenaires commerciaux. Ces derniers peuvent volontairement limiter les remises disponibles pour maximiser leurs marges. Cette stratégie, bien loin de favoriser les consommateurs, renforce l’idée que Honey agit davantage dans l’intérêt des marchands que dans celui des utilisateurs.
Les conséquences pour les affiliés et les marchands
Les pratiques de Honey nuisent à plusieurs échelons :
Pour les affiliés : Les créateurs de contenu, blogueurs et petits éditeurs voient leurs revenus fondre alors qu'ils déploient des efforts considérables pour promouvoir des produits. Honey détourne ces commissions, sapant la viabilité de nombreux médias.
Pour les marchands : Les marchands doivent composer avec des clients désormais habitués à rechercher des réductions via Honey. Cela peut les forcer à augmenter leurs prix globaux pour compenser les commissions versées à l’extension, affectant au passage les consommateurs finaux.
Pour les consommateurs : Ceux-ci sont dupés par la promesse d’économies maximales, alors qu’ils pourraient parfois trouver de meilleurs codes en cherchant eux-mêmes.
La réponse d'Honey (PayPal) : une défense minimale
Suite aux accusations portées par de nombreux créateurs et à l’enquête de MegaLag, PayPal, la société mère de Honey, a répondu par une déclaration très succincte, transmise par Josh Criscoe, vice-président des communications d’entreprise chez PayPal, au média The Verge.
“Honey suit les règles et pratiques de l’industrie, y compris l’attribution au dernier clic. Honey est gratuit et permet à des millions d’acheteurs de réaliser des économies supplémentaires sur leurs achats autant que possible. Honey aide les marchands à réduire l’abandon de panier et les comparaisons de prix tout en augmentant le taux de conversion des ventes.”
Cette réponse, considérée par beaucoup comme trop légère, évite d’aborder directement les accusations de remplacement furtif des cookies d’affiliation ou les pratiques commerciales opaques révélées dans l’enquête. Elle se limite à mettre en avant les avantages supposés de l’extension pour les consommateurs et les marchands, sans répondre aux critiques sur les impacts négatifs pour les créateurs de contenu et les affiliés.
Face à une controverse de cette ampleur, cette réponse est très insuffisante, renforçant l’impression que PayPal et Honey minimisent la gravité des accusations.
La réaction des créateurs et la nécessité de transparence
Linus Tech Tips
Dans un épisode récent de son podcast, Linus Sebastian, créateur de la chaîne Linus Tech Tips (LTT), a abordé les révélations concernant Honey, tout en clarifiant la position de son équipe. Selon Linus, LTT avait mis fin à son partenariat avec Honey il y a trois ans, suite à des signalements sur le remplacement des cookies d’affiliation.
“Nous avons entendu parler de cette pratique via des tweets et des discussions sur notre propre forum en 2020. Après une discussion avec l’équipe dirigeante de Honey, il était clair qu’ils n’avaient pas l’intention de modifier leur modèle économique. Nous avons donc décidé de mettre fin à notre contrat de sponsoring avec eux.”
Cependant, Linus a expliqué que, à l’époque, les problèmes identifiés semblaient surtout affecter les créateurs, et non les consommateurs finaux :
“Le remplacement des cookies était mauvais pour les créateurs, mais ne semblait pas poser de problème immédiat aux utilisateurs. Nous ne disposions pas des informations actuelles sur leurs partenariats avec des marchands pour limiter les remises disponibles.”
Il a également souligné que MegaLag avait joué un rôle crucial en dévoilant l’ampleur des pratiques de Honey et leurs impacts sur les utilisateurs. Linus a noté que bien d’autres créateurs avaient également cessé de travailler avec Honey entre 2020 et 2021, mais sans grande publicité.
“Nous avons agi publiquement à l’époque, en annonçant sur notre forum que nous mettions fin à notre partenariat. Cependant, ce n’était pas ‘notre histoire à raconter’ puisque d’autres créateurs et médias rapportaient déjà ces problèmes.”
Linus a conclu en rappelant que de nombreux créateurs, y compris LTT, avaient été victimes des pratiques de Honey, particulièrement en raison de l’impact sur leurs revenus affiliés :
“En 2020, les revenus d’affiliation représentaient 7 % de notre chiffre d’affaires. Honey a clairement eu un impact sur nous et sur d’autres créateurs, même si nous avons été partiellement compensés via leurs sponsoring directs. Cela reste une situation qui a affecté l’ensemble des créateurs et des affiliés.”
Enfin, Linus a exprimé son soutien aux révélations actuelles, tout en appelant à plus de vigilance dans les collaborations futures.
Marques Brownlee (MKBHD)
Dans une vidéo récente, Marques Brownlee (MKBHD), un créateur influent sur YouTube, a exprimé son désarroi face aux pratiques de Honey :
“Que faire alors ? La première étape est simple : désinstallez Honey si vous l’avez installé. Si ce n’est pas le cas, ne l’installez pas. Prévenez également votre entourage, car Honey agit au détriment des blogs et des créateurs que vous pourriez soutenir.”
Il a également révélé avoir collaboré avec Honey dans le passé :
“J’ai eu trois vidéos sponsorisées par Honey en 2020. Cependant, après avoir découvert leurs pratiques, j’ai pris la décision d’utiliser l’éditeur de YouTube pour retirer les segments publicitaires liés à Honey de ces vidéos.”
MKBHD a aussi appelé les créateurs à être plus vigilants dans leurs partenariats :
“La leçon est claire : nous devons être encore plus sceptiques sur les produits et entreprises que nous mettons en avant. Honey semblait fiable à l’époque, mais peu de gens avaient conscience de leurs pratiques en coulisses.”
Austin Evans
Austin Evans est également un créateur YouTube influent, a récemment pris la parole pour dénoncer les pratiques de Honey, avec qui il avait collaboré deux fois en 2021. Dans une vidéo approfondie, il a exprimé son indignation face aux révélations, tout en partageant son expérience en tant qu’influenceur ayant travaillé avec l’entreprise.
“Honey ne trompe pas seulement les influenceurs et les créateurs, mais aussi les consommateurs et les marques elles-mêmes. Leur modèle commercial est profondément problématique.”
Austin a expliqué qu’il avait initialement choisi de travailler avec Honey en pensant que l’extension respectait les pratiques habituelles de l’affiliation, où elle prendrait une part de la commission générée en échange de la fourniture de codes promo aux utilisateurs. Cependant, il a découvert que Honey allait bien au-delà, en détournant systématiquement les revenus affiliés, même sans fournir de codes promo :
“Ce que Honey fait réellement, c’est voler les commissions d’affiliation, qu’ils trouvent un code promo ou non. Ils prennent l’argent qui devrait revenir aux créateurs ou aux sites, sans rien offrir en échange.”
Austin a également critiqué le partenariat de Honey avec les marchands, soulignant que l’entreprise ne montre souvent que les codes promo approuvés par ces derniers, cachant les meilleures réductions aux utilisateurs.
“Honey agit comme une sorte de mafia, forçant les marchands à rejoindre leur programme pour éviter de dévoiler leurs meilleurs codes promo. Cela va à l’encontre des intérêts des consommateurs.”
Face à ces révélations, Austin a pris une position claire :
“Je ne travaillerai plus jamais avec Honey. C’est une leçon pour moi et pour d’autres créateurs sur l’importance de creuser davantage avant de s’associer à une marque. Je recommande à tous ceux qui utilisent cette extension de la désinstaller.”
Austin a conclu en appelant à la prudence face aux extensions de navigateur.
“Honey a payé des influenceurs en amont, tout en leur volant de l’argent à l’arrière. Ce genre de comportement est inacceptable, et je ne peux pas soutenir une telle entreprise.”
Une action collective contre Honey et PayPal : le scandale passe au tribunal
En parallèle des révélations sur les pratiques de Honey, une action en justice collective a été lancée contre PayPal, propriétaire de l’extension Honey, par des créateurs de contenu comme Wendover Productions. Cette plainte, déposée devant un tribunal de Californie, accuse PayPal de "perturbation intentionnelle de relations contractuelles" et de "perturbation intentionnelle de relations économiques prospectives".
Les accusations clés
Suppression des cookies d'affiliation
Selon la plainte, Honey remplace systématiquement les cookies d'affiliation des créateurs par les siens lorsqu’un utilisateur clique sur le bouton d'application de code promo, même si aucun code n’est trouvé ou appliqué. Cela prive les créateurs de leur commission, pourtant méritée, et attribue ces gains à Honey.Impact sur les relations commerciales
En détournant les revenus d'affiliation, Honey fausse les performances des créateurs auprès de leurs partenaires commerciaux. Ces derniers, voyant une performance apparemment médiocre, renouvellent moins souvent les contrats ou offrent des termes moins avantageux.Enrichissement injustifié
PayPal est accusé de profiter illégalement de cette pratique, accumulant des revenus issus du travail des créateurs sans les compenser équitablement.
L’objectif de l’action collective
Les plaignants demandent :
Des dommages financiers pour compenser les pertes de revenus, estimées à plus de 5 millions de dollars pour l’ensemble de la classe.
Une injonction permanente interdisant à Honey de remplacer les cookies d’affiliation des créateurs par les siens.
Pourquoi cette affaire est cruciale
Cette action judiciaire pourrait définir un précédent dans l’industrie du marketing affilié, en remettant en question les pratiques de modèles économiques basés sur l’attribution au dernier clic. Elle reflète également une demande croissante pour une plus grande transparence et éthique dans les technologies publicitaires.
Un modèle à repenser
Le cas Honey soulève des questions profondes sur l’éthique des modèles d’affiliation au "last click" et la protection des éditeurs, car il est évident que beaucoup de services de coupons et de cashback basés sur une extension de navigateur fonctionnent de manière très similaire.
Si cette extension a permis à des millions d’utilisateurs d’économiser quelques centimes, elle l’a fait au détriment d’une économie des médias qui repose sur des bases déjà fragiles.
Pour les éditeurs de sites et les affiliés, il est temps de surveiller de près les acteurs qui interfèrent dans leurs modèles de revenus et de mieux négocier leurs conditions avec leurs annonceurs clés.